1. Théatre 2. Décor 3. Pierrot Dandy 4. Déconvenue 5. Lune au lavoir 6. La sérénade de Pierrot 7. Cuisine lyrique 8. Arlequinade 9. Pierrot polaire 10. A Colombine 11. Arlequin 12. Les Nuages 13. A mon cousin de Bergame 14. Pierrot voleur 15. Spleen 16. Ivresse de lune 17. La Chanson de la Porcnce 18. Suicide 19. Papillons noirs . 20. Coucher de soleil 21. Lune malade 22. Absinthe 23. Mendiante de têtes. 24. Décollation 25. Rouge er blanc. 26. Valse de Chopin 27. L'Église 28. Evocation 29. Messe rouge 30. Les croix 31. Supplique 32. Violon de lune. 33. Les cigognes 34. Nostalgie 35. Parfums de Bergamc 36. Départ de Pierrot 37. Pantomime 38. Brosseur du lune 39. L'Alphabet 40. Blancheurs sacrées 41. Poussiére rose 42. Parodie 43. Lune muqueuse. 44. La Lanterne. 45. Pierrot cruel. 46. Décor 47. Le miroir. . 48. Souper sur l'eau . 49. L'Escalier 50. Cristal de Bohème
Pierrot Lunaire - by Albert Giraud
Theatre
Je rêve un theatre De chambre, Dont Breughel peindrait les volets, Shakspear, les féeriques palais, Et Watteau, les fonds couleur d'ambre.
Par les frileux soirs de décembre, En chauffant mes doigts violets, Je rêve un théâtre de chambre. Émoustillés par le gingembre,
On y verrait les Crispins laids Ouater leurs décharnés mollets Pour Colombine qui se cambre. Je rêve un théâtre de chambre.
Décor
Les grands oiseaux de pourpre et d'or, Ces voletantes pierreries, Breughel les pose, en ses féeries, Sur les arbres bleus du décor.
Ils vibrent, et leur large essor Jette une ombre au ras des prairies, Les grands oiseaux de pourpre et d'or, Ces voletantes pierreries.
Le soleil perce avec effort De ses jaunes orfèvreries L'azur vert des b ranches fleuries, Et Sa lumiêre avive encor Les grands oiseaux de pourpre et d'or.
Pierrot 'Dandy
D 'un rayon de lune fantasque Luisent les flacons de cristal Sur le lavabo de santal Du pâle dandy bergamasque.
La fontaine rit dans sa vasque Avec un son clair de métal. D'un rayon de Lune fantasque Luisent les flacons de cristal.
Mais le seigneur à blanchc basque, Laissant le rouge végétal Et le fard vert oriental Maquille étrangement son masque D'un rayon de Lune fantasque.
Déconvenue
Les convives, fourchette au poing, Ont vu surbtiliser les litres, Les rôtis, les tourtes, les huitres, Et les confitures de coing.
Des Gilles, cachés dans un coin, Tirent des grimaces de pitres. Les convives, fourchette au poing, Ont vu subtiliser les litres.
La céleste et douce ouvrière Nouant sa jupe sur ses hanches, Sous le baiser frôlant des branches, Étend son linge de lumière, Comme une pâle lavandière.
La Sérénade de 'Pierrot
D 'un grotesque archet dissonant Agaçant sa viole plate, A la héron, sur une patte, Il pince un air inconvenant.
Soudain Cassandre, intervenant, Blâme ce nocturne acrobate, D'un grotesque archet dissonant Agaçant sa viole plate.
Pierrot la rejette, et prenant D'une poigne très délicate Le vieux par sa roide cravate, Zèbre le bedon du gênant D'un grotesque archet dissonant.
Cuisine Lyrique
La Lune, la jaune omelette, Battue avec de grands oeufs d'or, Au fond de l'azur noir s'endort, Et dans les vitres se reflète.
Pierrot, dans sa blanche toilette, Guigne, su r le toit, près du bord, La lune, la jaune omelette, Battue avec de grands oeufs d'or.
Ridé comme une pomme blette, Le Pierrot agite très fort Un poêlon, et, d'un brusque ef}ort, 'Croit lancer au ciel qui paillette La Lune, la jaune omelette.
Arlequinade
Arlequin porte un arc-en-ciel De rouges et vertes soieries, Et semble, dans l'or des féeries, Un serpent artificiel.
Ayant pour but essentiel Le mensonge et les fourberies, Arlequin porte un arc-en-ciel De rouges et vertes soieries.
A Cassandre jaune de fiel Il dénombre ses seigneuries En Espagne, et ses armoiries: Car sur fond d'azur et de miel, Arlequin porte un arc-en-ciel.
Pierrot Polaire
Un miroitant glaçon polaire, De froide lumière aiguisé, Arrête Pierrot épuisé Qui sent couler bas sa galère.
Il fixe d'un oeil qui s'éclaire Son sauveteur improvisé: Un miroitant glaçon polaire, De froide lumière aiguisé.
Et le mime patibulaire Croit voir un Pierrot déguisé, Et d'un blanc geste éternisé Interpelle dans la nuit claire Un miroitant glaçon polaire.
A Colombine
Les fleurs pâles du clair de Lune, Comme des roses de clarté, Fleurissent dans les nuits d'été: Si je pouvais en cueillir une!
Pour soulager mon infortune, Je cherche, le long du Léthé, I.es fleurs pâles du clair de Lune> Comme des roses de clarté.
Et j'apaiserai ma rancune, Si j'obtiens du ciel irrité La chimérique volupté D'effeuiller sur ta toison brune Les fleurs pâles du clair de Lune!
Arlequin
Brilliant comme un spectre solaire, Voici le très mince Arlequin, Qui chiffonne le casaquin De la servante atrabilaire.
Afin d'apaiser sa colère, il fait miroiter un sequin. Brillant comme un spectre solaire, Voici le très mince Arlequin.
La vieille, empochant son salaire, Livre Colombine au faquin, Qui sur un grand ciel bleu turquin Se dessine, et chante lanlaire, Brillant comme un spectre solaire.
Les Nuages
C OMME de splendides nageoires De célestes poissons changeants, Les nuages ont des argents, Des ors, des nacres, des ivoires.
Ils s'irisent devant les gloires Mourantes des soleils plongeants, Comme de splendides nageoires De célestes poissons changeants.
Mais la Nuit, sur ses barques noires, Lance des pêcbeurs affligeants Qui, dans leurs filets émergeants, Prennent les ondoyantes moires Comme de splendides nageoires.
A mon cousin de 'Bergame
Nous sommes parents par la Lune, Le Pierrot Bergamasque et moi, Car je ressens un pâle émoi, Quand elle allaite la nuit brune.
Au pied de la rouge tribune, Il chargeait les gestes du roi: Nous sommes parents par la Lune, Le Pierrot Bergamasque et moi.
J'ai les vers luisants pour fortune; Je vis en tirant,. comme toi, Ma langue saignante à la Loi, Et la parole m'importune: Nous sommes parents par la Lune!
'Pierrot voleur
Les rouges rubis souverains, Injectés de meurtre et de gloire, Sommeillent au creux d'une-armoire Dans l'horreur des longs souterrains.
Pierrot, avec des malandrins, Veut ravir un jour, après boire, Les rouges rubis souverains, Injectés de meurtre et de gloire.
Mais la peur hérisse leurs crins: Parmi le velours et la moire, Comme des yeux dans l'ombre noire, S'enflamment du fond des écrins Les rouges rubis souverains!
Spleen
PIERROT de Bergame s'ennuie: Il renonce aux charmes du vol; Son étrange gaité de fol Comme un oiseau blanc s'est enfuie.
Le spleen, à l'horizon de suie, Fermente ainsi qu'un noir alcool. Pierrot de Bergame s'ennuie: il renonce aux charmes du yoî.
La Lune sympathique essuie Ses larmes de lumiêre au vol Des nuages, et sur le sol Claque la chanson de la pluie: Pierrot de Bergame s'ennuie.
Ivresse de Lune
Le vin que l'on boit par les yeux A flots verts de la Lune coule, Et submerge comme une houle Les horizons silencieux.
De doux conseils pernicieux Dans le philtre yagent en foule: Le vin que l'on boit par les yeux A flots verts de la Lune coule.
Le Poète religieux De l'étrange absinthe se soûle, Aspirant, - jusqu'à ce qu'il roule, Le geste fou, la tête aux cieux, - Le vin que l'on boit par les yeux!
La Chanson de la 'Potence
LA maigre amoureuse au long cou Sera la dernière maîtresse, De ce traîne-jambe en détresse, De ce songe-d'or sans le sou.
Cette pensée est comme un clou Qu'en sa tête enfonce l'ivresse: La maigre amoureuse au long cou Sera sa dernière maîtresse.
Elle est svelte comme un bambou; Sur sa gorge aanse une tresse, Et, d'une étranglante caresse, Le fera jouir comme un fou, La maigre anioureuse au long cou!
S u i c i d e
En sa robe de Lune blanche, Pierrot rit son rire sanglant. Son geste ivre devient troublant: Il cuve le vin du dimanche.
Sur le sol traînaille sa manche; Il plante un clou dans le mur blanc: En sa robe de Lune blanche. Pierrot rit son rire sanglant.
Il frétille comme une' tanche, Se passe au col un noeud coulant, Repousse l'escabeau branlant, Tire la langue, et se déhanche, En sa robe de Lune blanche.
Papillons noirs
D E sinistres papillons noirs Du soleil ont éteint la gloire, Et l'horizon semble un grimoire Barbouillé d'encre tous les soirs.
Il sort d'occultes encensoirs Un parfum troublant la mémoire; De sinistres papillons noirs Du soleil ont éteint la gloire.
Des monstres aux gluants suçoirs Recherchent du sang pour le boire, Et du ciel, en poussière noire, Descendent sur nos désespoirs. De sinistres papillons noirs.
Coucher de soliel
Le Soleil s'est ouvert les veines Sur un lit de nuages roux: Son sang, par la bouche des trous, S'éjacule en rouges fontaines.
Les rameaux convulsifs des chênes Flagellent les horizons fous: Le Soleil s'est ouvert les veines Sur un lit de nuages roux.
Comme, après les hontes romaines Un débauché plein de dégoûts Laissant jusqu'aux sales égouts Saigner ses artères malsaines> Le Soleil s'est ouvert les veines!
Lune malade
O Lune, nocturne phtisique, Sur le noir oreiller des cieux, Ton immense regard fiévreux M'attire comme une musique!
Tu meurs d'un amour chimérique, Et d'un désir silencieux, O Lune, nocturne phtisique, Sur le noir oreiller des cieux!
Mais 'dans sa volupté physique L'amant qui passe insoucieux Prend pour des rayons gracieux Ton sang blanc et mélancolique, O Lune, nocturne phtisique!
Absinthe
Dans une immense mer d'absinthe, Je découvre des pays soûls, Aux ciels capricieux et fous Comme un désir de femme enceinte.
La capiteuse vague tinte Des rythmes verdàtres et doux: Dans une immense mer d'absinthe, Je découvre des pays soûls.
Mais soudain ma barque est étreinte Par des poulpes visqueux et mous: Au milieu d'un gluant remous Je disparais, sans une plainte, Dans une immense mer d'absinthe.
Cendiante de Tétes
Un panier rouge empli de son Balance dans ta nuin crispée, Folle Guillotine échappée, Qui rôdes devant la prison!
Ta voix qui mendie a le son Du billot qu'entaille l'épée: Un panier rouge empli de son Balance dans ta main crispée!
Bourrèle! qui veux pour rançon Le sang, le meurtre, l'épopée, Tu tends à la tête coupée Crachant sa dernière chanson, Un panier rouge empli de son!
Décollation
La Lune, comme un sabre blanc Sur un sombre coussin de moire, Se courbe en la nocturne gloire D'un ciel fantastique et dolent.
Un long Pierrot déambulant Fixe avec des gestes de foire La Lune, comme un sabre blanc Sur un sombre coussin de moire.
Il flageole, et, s'agenouillant, Rêve dans l'immensité noire Que pour la mort expiatoire Sur son cou s'abat en sifflant La Lune, comme un sabre blanc.
Rouge et Blanc
E cruelle et rouge langue, Aux chairs salivantes de sang, Comme un éclair érubescent Sillonne son visage exsangue.
Sa face pâle est une gangue D'où sort ce rubis repoussant: Une cruelle et rouge langue, Aux chairs salivantes de sang.
Son corps vertigineux qui tangue Est comme un blanc vaisseau hissant A son grand mât éblouissant Son pavillon couleur de mangue: Une cruelle et rouge langue!
Valse de Chopin
Comme un crachat sanguinolent, De la bouche d'une phtisique, Il tombe de cette musique Un charme morbide et dolent.
Un son rouge - du rêve blanc Avive la pâle tunique, Comme un crachat sanguinolent De la bouche d'une phtisique.
Le thème doux et violent De la valse mélancolique Me laisse une saveur physique, Un fade arrière-goût troublant, Comme un crachat sanguinolent.
L'Eglise
Dans l'Église odorante et sombre -- Comme un rayon de Lune entré Par le vitrail décoloré, - Pierrot éclaire la pénombre.
Il marche vers le choeur qui sombre. Avec un regard d'inspiré, Dans l'Église odorante et sombre Comme un rayon de Lune entré.
Et soudain les cierges sans nombre, Déchirant le soir expiré, Saignent sur l'autel illustré, Comme les blessures de l'Ombre, Dans l'Église odorante et sombre.
Évocation
Madone des Hystéries I Monte sur l'autel de mes vers, La fureur du glaive à travers Tes maigres mamelles taries.
Tes blessures endolories Semblent de rouges yeux ouverts: O Madone des Hystéries! Monte sur l'autel de mes vers.
De tes longues mains appauvries, Tends à l'incrédule univers Ton Fils aux membres déjà verts, Aux chairs tombantes et pourries, O Madone des Hystéries!
Messe rouge
Pour la cruelle Eucharistie, Sous l'éclair des ors aveuglants Et des cierges aux feux troublants, Pierrot sort de la sacristie.
Sa main, de la Grâce investie, Déchire ses ornements blancs, Pour la cruelle Eucharistie, Sous l'éclair des ors aveuglants,
Et d'un grand geste d'amnistie Il montre aux fidèles tremblants Son coeur entre ses doigts sanglants, -- Comme une horrible et rouge hostie Pour la cruelle Eucharistie.
Les Croix
Les beaux vers sont dc larges croix Où saignent les rouges Poètes, Aveuglés par les gypaètes Qui volent comme des effrois.
Aux glaives les cadavres froids Ont offert d'écarlates fêtes Les beaux vers sont dc larges croix Où saignent les rouges Poètes.
Ils ont trépassé, cheveux droits, Loin de la foule aux clameurs bêtes, Les soleils couchants sur leurs têtes Comme des couronnes dc rois! Les beaux vers sont de larges croix!
Supplique
Pierrot! Le ressort du rire, Entre mes dents je l'ai cassé: Le clair décor s'est effacé Dans un mirage à la Shakspeare.
Au mât de mon triste navire Un pavillon noir est hissé: O Pierrot! Le ressort du rire, Entre mes dents je l'ai cassé.
Quand me rendras-tu, porte-lyre, Guérisseur de l'esprit blessé, Neige adorable du passé, Face de Lune, blanc messire, O Pierrot! le ressort du rire?
Violon de Lune
L' ame du violon tremblant, Plein de silence et d'harmonie, Rêve dans sa boîte vernie IUn rêve languide et troublant.
Qui donc fera d'un bras dolent IVibrer dans la nuit infinie L'âme du violon tremblant, Plein de silence et d'harmonie ?
La Lune, d'un rais mince et lent, Avec des douceurs d'agonie. Caresse de son ironie, Comme un lumineux archet blanc, L'âme du violon tremblant.
Les Cigoguies
Les cigognes mélancoliques, Blanchâtres sur l'horizon noir, Pour scander les rythmes du soir, Font claquer leurs becs faméliques.
Elles ont vu les feux obliques D'un grand soleil de désespoir, Les cigognes mélancoliques, Blanchâtres sur l'horizon noir.
Une mare aux yeux métalliques Renverse, en son vague miroir, -- Où du jour qui vient de déchoir Luisent les ultimes reliques, Les cigognes mélancoliques.
Nostalgie
Comme un doux soupir de cristal, L'âme des vieilles comédies Se plaint des allures raidies Du lent Pierrot sentimental.
Dans son triste désert mental Résonne en notes assourdies, Comme un doux soupir de cristal, L'âme des vieilles comédies.
Il désapprend son air fatal: A travers les blancs incendies Des lunes dans l'onde agrandies, Son regret vole au ciel natal, Comme un doux soupir de cristal.
Parfums de 'Bergame
O vieux parfum vaporisé Dont mes narines sont arisées! Les douces et folles risées Tournent dans l'air subtilisé.
Désir enfin réalisé Des choses longtemps méprisées: O vieux parfum vaporisé Dont mes narines sônt grisées!
Le charme du spleen est brisé: Par mes fenêtres irisées Je revois les bleus Elysées Où Watreau s'est éternisé.. - O vieux parfum vaporisé!
Départ de Pierrot
Un rayon de Lune est la rame, Un blanc nénuphar, la chaloupe; Il regagne, la brise en poupe, Sur un fleuve pâle, Bergame.
Le flot chante une humidc ganrnre Sous la nacelle qui le coupe. Un rayon de Lune est la rame, Un blanc nénuphar, la chaloupe.
Le neigeux roi du mimodrar-ne Redresse fièrement sa houppe: Comme du punch dans une coupe, Le vague horizon vert s'enflamme - Un rayon de Lune est la rame.
Pantomime
Absurde et doux comme un mensonge Le bleu décor italien Aux mimes du drame ancien S'ouvre avec le vague d'un songe.
Dans les lointains vaporeux plonge, Coiffé de tulle aérien, Absurde et doux comme un mensonge, Le bleu décor aérien.
Pierrot assomme à coups de longe Cassandre académicien, Et le rouge magicien Sur le fond du tableau s'allonge, Absurde et doux comme un mensonge.
Brosseur de Lune
Un très pâle rayon de Lune Sur le dos de son habit noir, Pierrou-\Villezue sort le soir Pour aller en bonne fortune.
Mais sa toilette l'inportune: Il s'inspecte, et finit par voir Un très pâle rayon de Lune Sur le dos de son habit noir.
Il s'imagine que c'est une Tache de plâtre, et sans espoir, Jusqu'au marin, sur le trottoir, Frotte, le coeur gros de rancune, Un très pâle rayon de Lune!
L'Alphabet
Un alphabet bariolé, Dont chaque lettre était un masque, Fut l'abécédaire fantasque Qu'en mon enfance j'épelai.
Très longtemps je me rappelai, Mieux que mes sabres et mon casque, Un alphabet bariolé Dont chaque lettre était un masque.
Aujourd'hui, mon coeur enjôlé, Vibrant comme un tambour de basque, Rêve un Arlequin bergamasque, Traçant d'un corps arc-en-ciellé Un alphabet bariolé.
Blancheurs sacrées
Blancheurs de la Neige et des Cygnes, Blancheurs de la Lune et du Lys, Vous étiez, aux temps abolis, De Pierrot les pâles insignes!
Il vous dédiait de beaux signes Dans la féerie ensevelis, Blancheurs de la Neige et des Cygnes, Blancheurs de la Lune et du Lys!
Le mépris des choses indignes, Le dégoût des coeurs amollis Sont les préceptes que je lis Dans le triomphe de vos lignes, Blancheurs de la Neige et des Cygnes'
'Poussière rose
Une fine poussière rose Danse à l'horizon du matin. Un très doux orchestre lointain Susurre un air dc Cimarose.
Phoebé, comme une blanche rose, Se meurt dans le ciel incertain. Une fine poussière rose Danse à l'horizon du matin.
Devant un Cassandre morose, Fuit un faîbala de satin Qui traverse - en frôlant le thym Qu'une fraîche rosée arrose - Une fine poussière rose.
Parodie
Des aiguilles à tricoter Dans sa vieille perruque grise, La duègne, en casaquin cerise, Ne se lasse de marmotîer.
Sous la treille elle vient guetter Pierrot dont sa chair est éprise, Des aiguilles à tricoter Dans sa vieille perruque grise.
Soudain elle entend éclater Les sifflets pointus de la brise: La Lune rit de la méprise, Et ses rais semblent imiter Des aiguilles à tricoter.
Lune 'moque-use
La Lune dessine une corne Dans la transparence du bleu. A Cassandre on a fait ce jeu De lui dérober son tricorne.
Le vieillard se promène morne, Ramenant son dernier cheveu; La Lune dessine une corne Dans la transparence du bleu.
Une fantastique licorne, Dont les naseaux lancent du feu, Soudain mouille de son émeu Cassandre assis sur une borne. La Lune dessine une corne.
La Lanterne
La claire et joyeuse lanterne, Où vibre une langue de feu, Pierrot la porte au bout d'un pieu Pour ne pas choir dans la citerne.
A tout coin de rue il lanterne Et sur le sol dépose un peu La claire et joyeuse lanterne Où vibre une langue de feu.
Il ne la voit plus, - se prosterne, Allume le petit point bleu De son allumette, et, par jeu, Cherche d'un geste qui constern- La claire et joyeuse lanterne.
Pierrot cruel
Dans le chef poli de Cassandre. Dont les cris percent le tympan, Pierrot enfonce le trépan, D'un air hypocritement tendre.
Le Maryland qu'il vient de prendre, Sa main sournoise le répand Dans le chef poli Je Cassandre Dont les cris pcrcent le tympan.
Il fixe un bout de palissandre Au crâne, et le blanc sacripant, A très rouges lèvres pompant, Fume - en chassant du doigt la cendre Dans le chef poli de Cassandre!
D é c o r
Le Soleil, comme un grand oeuf rose, Enlumine l'horizon gris, Et des troncs d'arbres rabougris Raturent le couchant morose.
Dans la lente métamorphose Des longs paysages aigris, Le Soleil. comme un grand oeuf rose, Enlumine l'horizon gris.
Uné triste lumière arrose Brusquement les cieux assombris: Des oiseaux noirs, à larges cris, Brisent du bec, dans la nuit close, Le Soleil, comme un grand oeuf rose.
Le Miroir
D'un croissant de Lune hilarante S'échancre le ciel bleu du soir, Et par le balcon du boudoir Pénètre la lumière errante.
En face, dans la paix vibrante Du limpide et profond miroir, D'un croissant de Lune hilarante S'échancre le ciel bleu du soir.
Pierrot, de façon conquérante Se mire - et soudain dans le noir Rit en silence de se voir Coiffé par sa blanche parente D'un croissant de Lune hilarante!
Souper sur l'Eau
En d'alanguissantes yoles Au pavillon de bleu turquin, Pierrot, Colombine, Arlequin Font saigner les rouges fioles.
Les fèmmes ont de lucioles Diamanté leur casaquin, En d'alanguissantes yoles Au pavillon de bleu turquin.
Enrichissant ces fanfioles La Lune luit comme un sequin, Et sous un rose baldaquin Madrigalisent les violes, En d'alanguissantes yoles.
L'Escalier
Sur le marbre de l'escalier, Un léger froufrou de lumiêre Turbule en bleuâtre poussière, Au tournant de chaque palier.
La Lune, d'un pas familier, Fait, dans sa ronde coutumière, Sur le marbre de l'escalier, Un léger froufrou de lumière.
Et Pierrot, pour s'humilier Devant sa pâle Emperière, Prosterne la blanche prière De son grand corps en espalier Sur le marbre de l'escalier.
Cristal de Bohême
Un rayon de Lune enfermé Dans un beau flacon de Bohême, Tel est le féerique poème Que dans ces rondels j' ai rrme.
Je Suis en Pierrot costumé, Pour offrir à celle que j'aime Un rayon de Lune enfermé Dans un beau flacon de Bohême.
Par ce symbole est exprimé. O ma très chère, tout moi-même Comme Pierrot, dans son chef blême Je sens, sous mon masque grimé, Un rayon de Lune enfermé.
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